L’entrepreneuriat africain, ce n’est pas seulement des trajectoires individuelles, des entreprises de taille souvent modeste profondément ancrées dans un territoire donné, et opérant dans un secteur précis. C’est également des questionnements sur l’avenir global du continent, ses perspectives politiques, économiques, développementales, sur le moyen et long-terme.
Quel futur pour l’Afrique ? Quelles opportunités et défis pour les gouvernements africains, les acteurs du développement, et bien sûr les entrepreneurs eux-mêmes ? Quelques visions longues dans un quotidien pétri d’incertitudes…
Le continent de notre siècle
L’Afrique, c’est avant tout un géant global en cours de construction.
Un géant démographique, bien sûr. Sa population est la plus jeune du monde (41% de sa population à moins de 15 ans et 19% sont âgés de 15 à 24 ans). En 2100, un tiers de la population mondiale sera d’Afrique Subsaharienne. Le continent représentera alors 40% de la population active mondiale. 420 millions d’emplois devront être créés pour absorber cette force de travail d’ici à 2050, un défi sans précédent à l’échelle de notre histoire humaine.
Mais l’Afrique, c’est aussi la naissance d’un nouveau grand pôle de PIB mondial, dans un contexte où le centre de gravité économique s’éloigne des économies matures pour se diriger vers les pays émergents et africains. La Chine et l’Inde pourraient atteindre 35% du PIB mondial en 2050, et l’Afrique 10% (contre 3% en 2016).
PIB comparé en valeur absolue: 2016, 2050
Un continent à la croissance longue mais fragile
Le continent africain a connu entre 2000 et 2015 une croissance soutenue. Elle apparaît aujourd’hui comme le 2e pôle de croissance après l’Asie. Son PIB a triplé depuis le début des années 2000, et devrait être multiplié par 7 à l’horizon 2050 (soit le PIB chinois actuel). Ces chiffres ne doivent pas cacher une croissance disparate, très inégale entre pays africains, et sujette à de violentes variations (une baisse notable depuis 2015 dans les principales économies minières et pétrolières de la région, notamment due à la chute des cours des matières premières).
“La croissance africaine profite insuffisamment à la grande majorité des Africains”
En dépit d’un dynamisme impressionnant qui a largement participé à l’émergence d’une classe moyenne africaine (estimée à plus de 330 millions de personnes aujourd’hui, selon la Banque Africaine de Développement[1]), la croissance africaine profite aussi insuffisamment à la grande majorité des Africains : les inégalités croissent (L’Afrique Subsaharienne présente le niveau d’inégalité le plus élevé du monde après l’Amérique Latine), et les indicateurs sociaux s’améliorent trop lentement (l’IDH est au plus bas en Afrique Subsaharienne).
Les enjeux environnementaux croissent également, et impactent les conditions de vie et de sécurité alimentaire. L’élévation du niveau de la mer est une menace croissante pour plusieurs villes du continent. Avec un réchauffement de 1,5 à 2°C, sécheresse et aridité rendront entre 40 et 80% des terres agricoles impropres à la culture du maïs, du mil et du sorgho à l’horizon 2030-2040.
Un continent à hauts défis de croissance et sous haute contrainte financière
C’est un constat sans appel : les investissements sont insuffisants face à la croissance démographique et aux enjeux sociaux et environnementaux précédemment cités. Il est particulièrement flagrant dans le cas des infrastructures : à ce jour 54% de la population n’a pas accès à l’électricité, et 61% n’a pas accès à des installations sanitaires décentes. Les flux financiers vers les infrastructures ($62 milliards en 2016) sont insuffisants par rapport aux besoins, et sont inégalement répartis par pays et par secteurs. La productivité de l’économie est aussi très lente à s’améliorer. La croissance économique est donc largement en dessous de son potentiel et surtout des besoins des Africains.
La mobilisation des recettes fiscales constitue l’un des défis les plus pressants qui se pose aux pays africains où le ratio recettes/PIB reste le plus faible au monde, en dépit des progrès réalisés durant les 20 dernières années. En parallèle, les apports étrangers, comme les flux d’Investissements Directs Étrangers, se révèlent insuffisants pour combler le manque, et sont très inégalement répartis sur le continent : seuls cinq pays (Angola, Égypte, Nigeria, Ghana et Éthiopie) accueillent 57% du total, alors que l’Afrique ne reçoit que 3,4% des IDE mondiaux.
Croissance trop faible, fiscalité trop modeste : il est inévitable que l’endettement public croisse rapidement au regard du PIB et représente un point d’attention de plus en plus important.
La gouvernance de tous les défis
L’indice Mo Ibrahim sert de référence pour évaluer la gouvernance africaine. En l’espace de dix ans, le score moyen de l’indice est passé de 49,4/100 (2007) à 50,8 (2016) : une amélioration donc, mais très progressive, encore très (trop) modeste, et très inégale selon les pays.
Évolution de l’Indice Mo Ibrahim de la Gouvernance en Afrique
Le continent africain reste la région la plus mal classée en termes de perception de la corruption, avec un score de 32, sur une échelle de 100, d’après le dernier rapport de l’ONG Transparency International.
Pour ne pas conclure…
Les données chiffrées – actuelles et projetées – parlent d’elles-mêmes : nous assistons à la naissance d’un nouveau pôle économique, social et culturel mondial, qui s’affirme davantage chaque année et qui s’impose géographiquement comme un centre de gravité, posé aux confluents de l’Europe, de l’Amérique et de l’Asie. Mais le continent africain doit résoudre des problèmes uniques dans l’histoire de l’humanité, et dont les répercussions poseront des sujets d’ordre mondial. Améliorer et bâtir les infrastructures, répondre aux besoins en biens et services de la classe moyenne, pourvoir des emplois qualifiés et non qualifiés, répondre aux enjeux environnementaux : voici quelques-uns des principaux défis à relever, et pour lesquels les entrepreneur.e.s du continent ont un rôle réel et croissant à jouer. Une question à traiter plus en détails dans un prochain article !
Pour aller plus loin…
A découvrir: un exposé plus approfondi des différents aspects mentionnés dans l’article dans le document “Le XXIe siècle, siècle de l’Afrique?”
PPT-Siecle-Africain-Dec-2018
Ressources & Références
- Banque Africaine de Développement, « The Middle of the Pyramid: Dynamics of the Middle Class in Africa » (2011)
- CEA/OCDE , « Dynamiques du développement en Afrique : croissance, emploi et inégalité » (2018)
- IIAG, Rapport Mo Ibrahim pour la bonne gouvernance (2017)
- PNUD, Rapport sur le Développement Humain (2017)
- PwC, IMF, « The World in 2050 Will the shift in global economic power continue? » (2015)
- UNFPA, Rapport du Fonds des Nations Unies pour la population (2017)
Notes
[1] BAD, 2011. Selon la Banque Mondiale, font partie de la classe moyenne les personnes gagnant entre 12 $ à 15 $ par jour (soit 32 millions en ASS) et selon la BAD, entre 2 $ à 20 $ par jour (soit 330 millions de personnes en ASS).