Maïa Africa, nouvelle entité du projet Faso Soap, est une entreprise sociale burkinabé fondée et dirigée par un duo d’entrepreneurs franco-burkinabé. Après quatre années de Recherche & Développement, la société met au point un savon innovant permettant d’éloigner les moustiques. L’objectif : sauver 100 000 vies du paludisme. Mais en 2017, malgré une reconnaissance internationale et une campagne de crowdfunding réussie[1], la trajectoire de développement de Maïa Africa a failli être arrêtée nette. A quelles difficultés les entrepreneurs se sont-ils confrontés ? Comment les ont-ils surmontées ? Petit exemple de l’abnégation nécessaire pour assurer la réussite de son projet entrepreneurial.
Le projet Faso Soap est la concrétisation d’une idée ayant remporté le Global Social Venture Competition (GSVC) en 2013 : intégrer un répulsif anti-moustique dans un savon afin de protéger les personnes les plus vulnérables au paludisme, grâce à un procédé appelé la micro-encapsulation.
La R&D à l’épreuve des usages réels
L’initiative est portée par Gérard Niyondiko, ingénieur chimiste issu de l’école 2iE de Ouagadougou. Il est rejoint par Franck Langevin, diplômé en Innovation et Entrepreneuriat à l’université de Stanford. Au Burkina Faso, les ressources financières et techniques sont particulièrement limitées. L’équipe a investi dans un premier temps en R&D pour concevoir ce savon innovant et prouver son efficacité en laboratoire. La validation de la demande auprès des futurs clients devait être réalisée ensuite avec les meilleurs prototypes. Tout en travaillant à la conception d’un produit qui devait être abordable, sain et efficace, l’entreprise a réalisé des études de marchés pour connaître l’étendue de la concurrence, le prix, le taux de référence… bref, des informations sur les produits existants et non sur leurs usages au Burkina Faso.
Cette démarche a soulevé un premier problème majeur : comment avoir, à moindre coût, des informations quantitatives sur son marché ? L’absence d’organismes indépendants, la part importante de l’informel dans le marché des produits alimentaires et d’hygiène et la ruralité des territoires rendent en effet cette analyse difficile et fortement consommatrice de capital, précisément à une période où ces capitaux sont également nécessaires à l’élaboration du produit.
La solution trouvée par l’équipe a été dans un premier temps de s’intéresser aux grands pays voisins (Côte d’Ivoire, Ghana, Nigéria), dont les biens de consommation circulent dans les pays limitrophes. À la suite de cette étude indirecte, l’équipe a ensuite lancé une étude sociologique auprès de 1 000 foyers au Burkina Faso pour comprendre les habitudes d’hygiène corporelle dans le pays.
Lorsque que les conclusions ont été rendues, il s’avère que 98% des clients appliquaient après le savon un produit de soin pour la peau. Dans 80% des cas, il s’agissait d’une pommade au beurre de karité. Or l’usage systématique de la pommade après la douche annulait l’effet anti-moustique du savon !
Transformer le problème… en solution
Réaliser que les quatre années de R&D n’auraient aucun impact sur le paludisme a été un moment très difficile pour l’équipe. En Afrique comme ailleurs, cette aventure entrepreneuriale implique de forts sacrifices, en temps, au niveau familial comme financier. Après quelques mois difficiles, l’implication de l’équipe dans ce grand projet de lutte contre le paludisme et le soutien de l’équipe d’incubation (ndlr : La Fabrique, dirigée par Lisa Tietiembou Barutel), la société a su rebondir en choisissant de réorienter ses recherches sur une pommade abordable capable de pouvoir repousser les moustiques porteurs du parasite du paludisme au moins 5 heures après usage.
“Nous avons fait une erreur stratégique en privilégiant au début du projet la recherche sur le produit au détriment de notre compréhension des usages locaux. Notre étude sociologique a été trop tardive, mais nous avons appris de cela. Nous nous sommes rendus compte que la pommade n’était finalement pas le problème mais la solution. La connaissance des usages nous a convaincu d’avancer sur le développement d’une pommade anti-moustique longue durée”, Franck Langevin
Aujourd’hui en préparation à la phase de production, les équipes de Maïa ont réussi à passer outre l’échec et continue de poursuivre la réalisation de leur projet. A l’été 2019, la pommade sera commercialisée et l’entreprise aura d’autres challenges à surmonter.
Quelles leçons tirer de ce parcours ?
Nous pouvons en tirer quelques points qui ont été essentiels au pivot pris par Maïa dans son développement :
- Il est indispensable d’aller très tôt au contact des clients potentiels. Même si cela peut coûter cher en temps et en argent, cela évite de lancer un produit peu adapté à la demande locale, et consommer du capital dans une R&D d’un produit inadapté. Il faut tirer profit d’être proche de ses clients.
- L’absence d’étude de marché fiable est un vrai défi et une des solutions palliatives est de comprendre le marché dans le pays le plus développé dans la région. Les produits de ce pays se retrouvent dans les pays frontaliers, dans sa zone d’influence.
- L’équipe est essentielle. Avec le parcours scientifique de l’un et le parcours dans les nouvelles technologies de l’autre, le duo Gérard Niyondiko et Franck Langevin a permis de surpasser l’erreur stratégique.
- Le conseil extérieur, ici celui de l’incubateur La Fabrique, (mais qui peut aussi venir des partenaires de l’entreprise ou de réseaux entrepreneurs) permet de partager son questionnement et de trouver un nouvel élan.
- Enfin, la portée de chaque projet d’entreprise sociale va au-delà de la réalisation personnelle. Dans toutes ces entreprises où l’impact est l’indicateur principal, la mobilisation des équipes permet de surpasser de nombreux obstacles.
En conclusion, nous pouvons dire que la réalisation d’un pivot lors du développement de l’entreprise est une grande preuve de résilience de l’entreprise. Comme on peut le voir au travers d’autres témoignages de ce blog, la personnalité de l’équipe dirigeante est le principal atout pour transformer le projet en succès, et c’est ici le cas de Maïa.
Pour aller plus loin
• L’article du blog « L’Afrique qui créée » : « Maïa : la R&D, la start-up, et la capacité à pivoter »
• La vidéo de Gérard Niyondiko et Franck Langevin présentant la nouvelle pommade:
Notes
[1] Lien vers la campagne de crowdfunding, financée en mai 2016 : https://fr.ulule.com/100000vies/