Depuis plusieurs années, des programmes d’accélération ont vu le jour un peu partout dans le monde, notamment sur le continent africain. L’objectif de ces initiatives est de soutenir les jeunes entreprises qui ont fait la preuve que leur modèle était viable et qui cherchent à faire croître leur activité. Que dit la littérature académique de ces programmes?
Après avoir exploré les multiples facettes de ces programmes sur le continent africain et rencontré une entreprise bénéficiaire, nous proposons dans ce troisième article de faire une synthèse des travaux a<cadémiques sur les programmes d’accélération dans les pays en développement pour en tirer des enseignements pour l’Afrique.
Des impacts réels sur les entreprises africaines?
Les programmes d’accélération se distinguent des autres formes d’interventions à destination des jeunes entreprises par différents aspects. Tout d’abord, ces programmes sont en général très courts, dépassant rarement un an, ce qui contraste avec les programmes d’incubation ou l’action des investisseurs de type «business angels».
Ces programmes sont courts et sélectifs.
Ils sont aussi très sélectifs. Après un appel à candidatures, très peu de candidats intègrent ces programmes (généralement une vingtaine). Enfin, ces initiatives offrent une grande palette de services aux entreprises retenues, comme des formations, du mentorat, de la mise en réseau, et parfois des financements.
Les programmes d’accélération ont en général un double objectif ; d’une part favoriser la levée de fonds ; et d’autre part, améliorer les performances des entreprises en améliorant le capital entrepreneurial des entrepreneurs (c’est-à-dire l’ensemble des compétences et ressources nécessaires pour démarrer et développer une activité). L’essor de ces programmes d’accélération pose la question de leur efficacité vis-à-vis des deux objectifs précités. En raison de leur émergence récente, il existe encore peu de travaux académiques ayant évalué l’impact de ces programmes. Néanmoins, nous proposons de faire une synthèse de ces recherches (portant en général sur des pays non africains), pour en tirer des enseignements pour le continent africain.
Avant de présenter les principales conclusions, il convient de s’arrêter sur le défi méthodologique majeur de ces évaluations. Une simple comparaison des entreprises sélectionnées avec d’autres entreprises (candidates ou non) n’apporte aucun éclairage sur l’effet du programme. Il existe un risque d’effet de sélection. Les entreprises retenues sont les candidates ayant le plus fort potentiel, notamment en termes de croissance. Il est donc attendu que ces entreprises performent mieux que les autres candidates dans le futur (avec ou sans programme). Afin de contourner ce problème, les chercheurs ont adopté des approches consistant à comparer les entreprises sélectionnées avec des entreprises qui auraient pu être retenues dans le programme si le nombre de places avait été un peu plus important ou si le jury avait été moins sévère avec elles. Il est attendu que ces entreprises sont très proches des entreprises sélectionnées avant l’entrée dans le programme de ces dernières. Il devient alors possible de comparer l’évolution des entreprises retenues avec ces entreprises quasi-similaires.
Les travaux académiques mettent en évidence des résultats globalement positifs des programmes d’accélération sur les entreprises dans les pays en développement.
En général, les entreprises soutenues ont été capables de lever plus de fonds que les entreprises similaires mais non intégrées au programme. En outre, ces entreprises sélectionnées ont eu de meilleures performances en termes de volume d’activité (ventes) ou de performances financières (profit). [1]
Des programmes aux effets hétérogènes
Si l’effet global des programmes d’accélération est positif, qui sont les principaux bénéficiaires parmi les entreprises sélectionnées? Par quel canal transite ces impacts positifs?
La première question se pose sur les cibles les plus pertinentes à inclure dans ces programmes d’accélération. Il ressort assez clairement que leur efficacité est hétérogène. Les entreprises à fort potentiel et celles éprouvant des difficultés à lever des fonds sont les principales bénéficiaires de ces dispositifs. Au contraire, soutenir par des programmes d’accélération des entreprises n’ayant pas de réelles perspectives de croissance n’a aucun effet, comme l’illustre l’évaluation d’un programme en Colombie (Gonzales-Uribe et Reyes, 2021). De la même manière, l’effet est faible si les entreprises soutenues ne font pas face à une forte contrainte financière (Cusolito et al., 2021). D’un point de vue pratique, ce résultat implique qu’étendre ces programmes à un large panel d’entreprises n’aura sans doute pas les effets attendus.
La deuxième question est cruciale pour savoir comment fournir le programme le plus efficace possible. Avant d’aller plus loin, il convient de lever tout de suite le risque que ces effets positifs observés ne soient pas dus au programme en raison d’un effet de signal. Intégrer un programme très sélectif envoie un signal de qualité aux potentiels investisseurs et partenaires de l’entreprise. Une entreprise retenue peut donc plus facilement accéder à des fonds ou à de nouveaux clients grâce à cette « certification ». En présence d’un effet de signal pur, le seul apport des programmes d’accélération serait d’identifier les entreprises les plus solides, les services offerts (et coûteux) n’ayant aucun apport pour les entreprises. Les travaux ont pu montrer que les effets positifs observés ne sont pas dus à un effet de signal. Afin de mettre en évidence l’absence de l’effet de signal, les chercheurs ont comparé des entreprises ayant toutes intégré un programme mais dont l’intensité des services offerts était différente. Si seul l’effet de signal joue un rôle alors ces entreprises ne devraient pas se distinguer en termes de performance (effet de signal identique). Or, il ressort que plus les services offerts sont nombreux, plus les impacts du programme sont élevés à la fois sur la croissance de l’activité et sur le profit. Plusieurs évaluations de programme d’accélération dans des contextes différents allant du Chili (Gonzales-Uribe et Leatherbee, 2018) aux pays balkaniques (Cusolito et al., 2021) montrent que les programmes ont des effets qui croissent à mesure que les services offerts sont plus intenses, ce qui contredit l’hypothèse de l’effet de signal.
Parmi la palette de services offerts (mentorat, suivi personnalisé, formations, mise en réseau), certaines activités sont sans doute plus utiles que d’autres. Les différents travaux apportent à ce titre des enseignements riches pour les concepteurs de ces programmes d’accélération. Il apparaît de manière convergente que le suivi personnalisé et le mentorat sont les principaux moteurs de l’amélioration de la situation des entreprises.
Le suivi personnalisé et le mentorat sont les principaux moteurs de l’amélioration de la situation des entreprises.
Ces activités permettent un retour sur les forces et faiblesses de l’entreprise. Cusolito et al. (2021) mettent en exergue le fait que les entreprises qui ont passé le plus de temps à échanger avec leurs mentors ont le plus amélioré leur capacité à attirer des investisseurs. Cet effet est d’autant plus fort que les mentors et experts choisis ont une bonne connaissance des besoins de l’entreprise (c’est-à-dire issus d’un secteur similaire et d’un pays proche de l’entreprise sélectionnée). En outre, il est préférable d’analyser ex ante les faiblesses de l’entreprise pour choisir l’expert idoine. Si l’entreprise a des besoins en marketing, alors il convient de lui trouver un expert dans ce domaine plutôt qu’une personne compétente en gestion de production.
En revanche, les résultats empiriques sont plus ambigus sur le rôle de la mise en réseau. En soi, réunir des entrepreneurs opérant dans des secteurs proches permet de favoriser les échanges et le partage d’information mais à une condition : ces entreprises ne doivent pas être des concurrentes directes. Dans ce cas-là, la mise en réseau n’a aucun effet. Le principal défi consiste donc à trouver le juste équilibre entre réunir des entreprises proches en termes de marché mais qui ne sont pas non concurrentes pour maximiser les effets positifs de la mise en réseau des entreprises. Cela peut se faire en exploitant des entreprises opérants sur des marchés voisins (en termes de géographie ou de biens et services offerts).
Enfin, la fourniture de formations (de type cours) a un effet faible, voire nul, sur les entreprises. Gonzales-Uribe et Leatherbee (2018) montrent ainsi que les entreprises ayant seulement bénéficié de cours ne performent pas mieux que les entreprises non intégrées au programme. Ce résultat est en phase avec une riche littérature qui a étudié le rôle de programme de formation (en gestion, finance) pour les petites et moyennes entreprises dans les pays en développement. Ces travaux soulignent l’absence d’effets notables de ces programmes sur le profit ou les ventes pour une raison simple : les entrepreneurs ne mettent que rarement en œuvre les outils enseignés et ces enseignements sont vite oubliés. Il s’agit d’un effet moyen, ce qui ne signifie pas que les entreprises ne peuvent pas bénéficier d’apprentissage sur certains aspects. Certains travaux montrent que des enseignements très spécifiques peuvent s’avérer positifs pour les entreprises si ces formations comblent des manques et que les entreprises mettent en œuvre les apprentissages. Il est dès lors pertinent de développer des approches permettant de (i) identifier les réels besoins des entrepreneurs et (ii) s’assurer que les modules enseignés soient applicables dans l’activité quotidienne de l’entreprise.
Pour conclure, les premiers résultats sont encourageants bien qu’ils doivent être pris avec précaution. Étendre ces conclusions dans un cadre africain doit être fait avec prudence car ces travaux portent surtout sur d’autres marchés émergents (Colombie, Chili, Balkans). Seule une étude internationale a inclus des pays africains à côté d’entreprises issues d’autres continents (Lall et al., 2020). Or, ce travail ne met pas en évidence d’effet positifs des programmes sur les entreprises des pays en développement [2]. Enfin, ces conclusions reposent sur un nombre très limité d’études. Il existe encore beaucoup d’inconnues que les travaux futurs devront lever, notamment dans le cadre africain.
[1] Une étude internationale regroupant des 1647 entreprises issues de 77 programmes nuance ce constat (Lall et al., 2020). Dans cette étude les programmes d’accélération ne semblent favoriser la levée de fonds que pour les entreprises issues des pays développés. Ce travail repose sur une comparaison internationale ne permettant pas de prendre en compte la spécificité de chaque initiative et souffre donc de biais méthodologiques.
[2] Il convient de noter que les entreprises africaines ne sont pas analysées de manière indépendante dans ce travail et que leur nombre est relativement réduit par rapport aux entreprises issues des autres continents.