Cela fait plus de 15 ans que j’accompagne des entreprises sur le continent dans leurs stratégies digitales et je crois fondamentalement au potentiel des PME africaines d’être à la pointe du digital de demain.
Pourquoi ?

Tout d’abord parce qu’il y a un retard technologique.

Quand on parle de digital en Afrique, le constat aujourd’hui reste que les usages sont encore limités. Seuls 36% de la population africaine étaient connectée en Janvier 2023. Les progrès technologiques sont freinés par des questions structurelles (manque d’infrastructures, faible connectivité internet, faiblesses des réseaux électriques), mais aussi des questions d’ordre sociétales (pouvoir d’achat limité, populations éloignées de l’écrit, etc.)
Mais ce retard technologique est, par bien des égards, une chance.

En effet, ce que l’on voit c’est que les derniers arrivés ont tendances à adopter directement les usages les plus avancés. Les nouveaux arrivant sur Internet vont par exemple immédiatement utiliser l’intelligence artificielle – déjà via la reconnaissance vocale sur leur smartphone – et cela leur semblera normal.

C’est ce qu’on appelle le Frogleap : Un saut de grenouille qui permet aux entreprises africaines de passer directement de l’artisanat à l’industrie Web 4.0 !

Deuxièmement parce que ces entreprises évoluent dans des contextes difficiles.

Enjeux politiques, économiques, sociaux, réglementaires, environnementaux : le contexte est souvent difficile pour les entreprises africaines – plus difficiles qu’ailleurs.
Ici encore c’est une chance ! Parce que l’innovation nait de la contrainte.

En effet, pourquoi changer quelque chose qui fonctionne ? Oui, on pourrait faire mieux, mais par essence personne n’aime le changement…
C’est le principal frein auquel se se heurtent les projets de transformation dans les entreprises françaises par exemple.

On connait tous la difficulté à faire changer des habitudes établies. Alors que face à un problème ou un blocage, on est prêt à tout pour trouver une solution.

L’exemple le plus flagrant est le cas du mobile money qui représente plus de 36 milliards de transactions en Afrique subsaharienne – contre seulement 300 millions en Europe et Asie Centrale (source : GSMA 2021).
Pourquoi est ce que ces usages peinent à décoller en Europe et en Asie Centrale ? Parce que le marché est déjà équipé de cartes bancaires et que de fait, si le paiement mobile apporte un plus, il ne vient pas répondre à une vraie tension.

Intéressant de voir ici d’ailleurs comment ces innovations impactent la manière de mesurer le niveau de développement d’un pays – Avec le mobile money par exemple, le taux de bancarisation n’est plus forcément aussi représentatif …

Enfin parce que les PME Africaines sont souvent des structures jeunes aux moyens limités

Aussi surprenant que cela puisse paraître, cela peut aussi être une chance pour le digital.
En effet, la digitalisation n’est plus aujourd’hui tellement une question de budget, mais plus une question de culture.

L’essor du no-code a démocratisé l’accès à la digitalisation pour les entreprises.

Des applications telles que Notion ont permis à des entreprises comme Sayna, à Madagascar, de digitaliser l’ensemble de leur process sans nécessiter d’expertises techniques particulières ou de budgets importants.
Les médias sociaux permettent eux de toucher facilement une audience locale et internationale.
De plus, il est plus facile pour des structures jeunes et plus petites de tirer partie du digital.
Plus agiles que les grands groupes aux pratiques établies, elles peuvent faire évoluer leurs outils et pratiques pour mettre en place de nouvelles méthodes de travail plus adaptées.

Une capacité d’adaptation qui est une réelle force dans un contexte de fortes incertitudes, notamment sur les sujets énergétiques et climatiques.

Autant de raisons pour les PME Africaine d’embrasser avec confiance une transformation digitale qui peut être un vrai levier de développement.

ll est important cependant de garder à l’esprit :

L’humain : Le digital ne doit pas venir remplacer, mais bien “augmenter” l’humain. Il s’agit de ne pas penser le digital pour le digital, mais pour apporter une valeur ajoutée. Et ainsi améliorer, simplifier, fluidifier des relations avant tout humaines, que ce soit à l’intérieur des entreprises ou avec leurs clients et partenaires. Il est intéressant à ce titre de voir dans les interfaces numériques l’importance croissantes des usages conversationnels qui sont celles qui sont les plus proches des interactions humaines (ex. WhatsApp ou ChatGPT)

Les spécificités africaines : Il s’agit d’une part d’assurer une meilleure représentation des réalités du continent dans les différents outils digitaux. En effet la réalité proposée en ligne dans les résultats de Google, sur les médias sociaux, ou encore dans les productions images ou textes générées par les Intelligences Artificielles sont le miroir des contenus disponibles en ligne – contenus qui sont avant tout américains, asiatiques, européens ..- Il s’agit pour cela d’encourager la production de contenus Africains afin que les spécificités du continent soient elles aussi prises en compte dans le futur.

Et d’autre part, alors que les principaux acteurs du digital aujourd’hui sont américains ou chinois, il faut éviter que la digitalisation ne crée des relations de dépendances trop fortes pour les pays. Une question que l’Afrique partage avec bien d’autres géographies !