Portrait des étudiants de l’université de Lomé au Togo : des besoins de santé importants, mais des difficultés d’accès aux soins.
Dans l’optique des objectifs du développement durable, la santé des jeunes représente un enjeu majeur pour les pays d’Afrique sub-saharienne : la région du monde qui compte le plus de jeunes est également celle où leur santé est la plus critique. Pourtant, notre connaissance de leurs habitudes de recours aux soins curatifs et préventifs et de leurs besoins de santé reste à ce jour assez limitée. Dans cet article « Éclairage », nous proposons un aperçu de la situation des étudiants au Togo pour mieux cerner la nature de ces enjeux.
La santé au Togo
En 2011, le Togo a instauré un Régime National d’Assurance Maladie (RNAM) géré par l’Institut National d’Assurance Maladie (INAM), principalement destiné aux agents publics, para publics et assimilés, actifs ou retraités, et leurs ayants droits. Il couvre 4 % de la population Togolaise (CARES, 2019). Le financement du RNAM provient de cotisations, à hauteur de 7% du salaire de l’agent, réparties entre l’employeur et l’employé. Un programme d’assurance maladie pour étudiants défavorisés a également été lancé en 2019. Il couvre environ 1 % des étudiants de l’université de Lomé, Togo. Les assurances privées couvrent 2 % de la population, mais ont connu une baisse due à la COVID-19. Les Mutuelles de Santé couvrent 1,6 % de la population (CARES, 2019). Au total en 2019, 7,6% de la population togolaise bénéficiait d’une assurance.
Au-delà, les initiatives gouvernementales offrent également une prise en charge gratuite pour certains groupes vulnérables, comme les élèves et les femmes enceintes. Il s’agit du programme School Assur et du programme Wezou (République Togolaise, 2020).
Le Togo accentue ses efforts pour une couverture universelle santé. En octobre 2021, le gouvernement Togolais a adopté un projet de loi instaurant une Assurance Maladie Universelle. Il s’agit “de garantir l’accès de toutes les couches de la population à des soins de santé de qualité, à travers un mécanisme de mutualisation des risques et de la solidarité dans le financement”. Ce projet est en cours de mise en œuvre.
Ces évolutions sont très encourageantes et dans ces circonstances mieux comprendre les besoins de santé et les comportements de recours aux soins de populations jusqu’à présent peu étudiées semble crucial. Sur la base d’une enquête auprès de 760 étudiants de l’université de Lomé, nous dressons six constats qui montrent la nécessité de s’intéresser notamment et spécifiquement à la santé des étudiants.
Les constats
Des étudiants qui déclarent majoritairement un faible état de santé
Une majorité d’étudiants se perçoivent en mauvaise santé avec des disparités importantes entre les femmes et les hommes : 68% des femmes contre 58% des hommes déclarent un état de santé général perçu comme très mauvais, mauvais ou moyen.
Autre donnée alarmante : 22% des étudiants déclarent souffrir d’une maladie chronique (avec là encore des disparités femmes/ hommes) avec pour la moitié d’entre eux des répercussions dans leur vie quotidienne et un manque de suivi ou de traitement.
Des étudiants peu protégés face aux risques financiers liés à la maladie
Seulement 11 % des étudiants interrogés déclarent être couverts par une assurance maladie, un chiffre ni plus ni moins comparable aux données en population générale au Togo.
Majoritairement, c’est l’affiliation de leurs parents au Régime National d’Assurance Maladie qui permet aux étudiants de bénéficier d’une couverture assurantielle (51 %). Pour 9 % d’entre eux, la couverture relève d’une assurance privée tandis que 2 % des étudiants bénéficient du programme pilote de l’Institut National d’Assurance Maladie dédié aux étudiants (et il s’agit quasi exclusivement de femmes).
Des étudiants qui renoncent majoritairement aux soins pour des raisons financières
Lorsqu’on demande aux étudiants ce qu’ils ont fait la dernière fois qu’ils ont ressenti un besoin de consulter pour un besoin de santé, ils sont 72 % à déclarer avoir renoncé aux soins. Renoncer aux soins peut signifier deux choses : soit ils ont pratiqué l’automédication – c’est le cas pour 54 % d’entre eux – soit ils ne se sont pas soignés du tout – c’est le cas pour 46 % d’entre eux.
Dans les deux cas, les conséquences peuvent être importantes, à court terme comme à plus long terme comme par exemple une progression de la maladie ou la nécessité d’un traitement plus complexe, un recours accru aux urgences ou encore une augmentation des dépenses de santé . L’automédication présente des risques importants pour les usagers : diagnostic erroné, mauvais choix de thérapie, effets indésirables graves et décès possible . Utilisée de façon abusive, l’automédication accroît la résistance aux antimicrobiens : un enjeu majeur car d’après les projections 24 millions de personnes supplémentaires dans le monde pourraient tomber dans l’extrême pauvreté en raison de la résistance aux antimicrobiens dans le monde d’ici 2030. À cela, s’ajoutent les problèmes de contrefaçon de médicaments dans de nombreux pays en développement.
Les étudiants évoquent principalement des raisons financières au e non-recours aux soins L’absence de couverture assurantielle favoriserait ainsi ces comportements de renoncement aux soins. Abaisser la barrière financière à l’accès aux soins de santé pour les étudiants représente donc un enjeu majeur et plaide en faveur d’une extension du programme pilote dédié aux étudiants.
Des étudiants qui font face à des dépenses de santé catastrophiques
Lorsque les étudiants engagent des dépenses pour leur santé, celles-ci viennent impacter leur niveau de vie. En effet, durant le mois qui a précédé l’enquête un étudiant sur deux a subi des dépenses de santé dites catastrophiques : c’est-à-dire que la part des dépenses de santé qui restent à la charge des étudiants est au moins égale à 40 % de leur capacité à payer.
Les dépenses de santé catastrophiques fragilisent la situation économique – déjà souvent précaire – des étudiants. La littérature montre que la présence de dépenses de santé catastrophiques engendre une réduction des dépenses de consommation des individus et peut les entraîner sous le seuil de pauvreté . Ce constat plaide là-encore en faveur d’une plus large couverture assurantielle.
Des étudiants qui ont des besoins de santé non satisfaits variés
Dans cette situation, les étudiants ont des besoins de santé non satisfaits ‘unmet needs’. Voici quelques statistiques permettant de les illustrer :
- 35 % de étudiants déclarent ne pas s’alimenter en quantité suffisante.
- 41 % des étudiants ne portent ni lunettes, ni lentilles mais pensent en avoir besoin.
- 66 % des répondants déclarent avoir ressenti un besoin de consulter un professionnel de santé au cours des 6 derniers mois.
- 75 % des étudiants souhaiteraient pouvoir consulter un professionnel de santé dans les semaines à venir, s’ils en avaient la possibilité
- Les femmes souhaiteraient en majorité consulter un médecin généraliste, un gynécologue, un ophtalmologue et un dermatologue.
- Les hommes souhaiteraient en majorité consulter un médecin généraliste, un ophtalmologue, un infirmier et un dentiste.
Focus sur les soins de santé plus spécifiques aux femmes
Une étudiante sur quatre déclare avoir consulté un gynécologue ou un professionnel de santé pour une question liée à l’intimité ou à la contraception au cours des 12 derniers mois. Si le taux de recours est faible, des besoins semblent pourtant exister puisque 73 % des répondantes souhaitent pouvoir consulter pour ces motifs dans les semaines à venir, si elles en avaient la possibilité.
Plusieurs raisons expliquant le non-recours à ce type de soins sont invoquées par les répondantes. La principale raison est la barrière financière (64 %). Ensuite – mais dans une proportion bien moindre – c’est l’absence de besoin ressenti qui est déclarée (16 %). Les autres motifs, tels que le manque de temps, la peur de ce type de consultations ou d’examen médical, le fait de ne pas connaître de professionnels délivrant ce type de soins ou encore la peur que l’on découvre des maladies, sont déclarés dans des proportions moindres.
Concernant la contraception, 56 % des étudiants qui ont accepté de répondre à cette question – délicate – déclarent n’en utiliser aucune, principalement en raison de la crainte d’effets secondaires (28 %) ou du manque de moyens financiers (26 %). Respectivement 10 et 8 % des étudiantes utilisent la pilule ou un spermicide. À noter que filles et garçons déclarent en grande majorité (89 %) bien connaître les risques liés à un rapport sexuel non protégé.
En conclusion,
La santé des étudiants – et plus largement des jeunes – représente un enjeu majeur pour les pays en développement. Aux portes du marché du travail, les étudiants sont les travailleurs – voir les entrepreneurs de demain. Leur état de santé et leurs comportements vis-à-vis de celle-ci sont de nature à influencer leurs choix de vie, leur possibilité d’entreprendre ou encore d’accéder à des opportunités économiques. Pour les femmes aussi, c’est un facteur d’émancipation qui favorise leur autonomie et influence leur perspective d’avenir.
L’extension de la couverture assurantielle est l’une des façons d’améliorer l’accès des étudiants aux soins, car elle permettrait d’abaisser la barrière financière qui les contraint dans leurs choix. Mais ce n’est pas uniquement du côté de la demande qu’il convient d’agir : l’offre doit pouvoir rencontrer cette demande, notamment sur les campus universitaires où l’on constate que seulement 7% des étudiants qui consultent se rendent au centre médical universitaire.
A lire
Pélissier A., Alowou A. P., Atake E-H. (2023) “Renoncer aux soins : une étude sur le campus de l’université de Lomé au Togo pour mieux comprendre les comportements de santé des étudiants“, Ferdi Document de travail P332.