Le processus de digitalisation peut contribuer à la croissance des pays en développement (PED), notamment en favorisant l’essor du secteur privé et l’inclusion financière. Le déploiement d’internet à haut débit permet d’améliorer la productivité et donc le potentiel de croissance des entreprises. La diffusion des services financiers mobiles encourage la fluidité des transactions, l’entreprenariat et le secteur formel, facilitant la mobilisation des ressources fiscales, un enjeu majeur pour les PED. Pour que ses effets sur le développement soient durables, les risques associés à la digitalisation doivent être maîtrisés.
Évolution de la digitalisation dans les pays en développement (2007-2017) Source : International Telecommunication Union (ITU), Mobile money Deployment Tracker (GSMA) et calculs Banque de France
Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) accroît la productivité des entreprises.
L’utilisation d’internet permet d’accroître significativement les performances des entreprises des pays en développement (PED). À partir de données d’entreprises de la Banque mondiale (World Bank Enterprise Survey) agrégées par localisation, Cariolle, Le Goff et Santoni (2019) montrent qu’une hausse de 10 % de l’utilisation d’internet augmente d’environ 37% les ventes moyennes des entreprises des PED et d’environ 22% leurs ventes moyennes par travailleur. Ces effets positifs sont principalement tirés par le secteur des services.
Effet du recours aux courriels sur les performances des entreprises dans les PED Source : Cariolle, Le Goff et Santoni (2019)
Ces gains de productivité proviennent d’une meilleure transmission de l’information. L’accès à internet rend moins coûteux et plus rapides les échanges avec les différents interlocuteurs de l’entreprise (clients, fournisseurs, etc.), parfois très distants, induisant une réduction des coûts de transaction. L’accès à une information plus dense, plus rapide et moins onéreuse, favorise la transmission de connaissances, favorable à une élévation de la productivité des travailleurs et à l’innovation. Ces effets positifs ne sont toutefois pleinement ressentis que dans la mesure où les entreprises adaptent leurs capacités de traitement à cet afflux massif d’informations supplémentaires (Cordella, 2001).
Les NTIC facilitent également l’accès des entreprises des PED aux marchés internationaux, ce qui peut favoriser leur capacité à exporter (Clarke, 2008) et leur productivité. Selon la théorie du « learning-by-exporting », en acquérant de nouveaux savoir-faire en contact avec les clients étrangers, et en étant confronté à davantage de concurrence, les firmes exportatrices sont plus productives que les autres (Cruz et al., 2017).
Enfin, la publication d’offres d’emploi en ligne et le développement des réseaux professionnels numériques permettent d’élargir les bassins d’emplois accessibles aux entreprises, augmentant ainsi leurs chances de recruter du personnel aux compétences adéquates. Cela est particulièrement important pour les entreprises des PED, pour lesquelles le recrutement de personnels compétents constitue souvent un obstacle au développement de leur activité. Enfin, l’émergence de nouveaux services en ligne, tels que les services de paiements des impôts ou des taxes douanières, les services bancaires, etc., qui se développent rapidement en Afrique sub-saharienne, constituent des gains supplémentaires d’efficacité pour les entreprises.
Dans le domaine financier, la digitalisation favorise l’inclusion financière des PME, la formalisation de l’économie et la mobilisation des ressources fiscales.
La digitalisation financière permet aux PED de bénéficier d’importants effets de rattrapage. Les PED accusent d’importants retards dans le développement des infrastructures et des réseaux bancaires, et possèdent des niveaux d’accès au crédit plus faibles pour les entreprises (33 %, contre plus de 75 % dans les pays avancés). Les services financiers mobiles (SFM) ont profité du déploiement à moindre coût des réseaux de téléphonie mobile pour proposer une gamme croissante de services financiers aux entreprises : moyens de paiement, crédit, assurance, épargne. Or, l’inclusion financière des entreprises constitue une source de productivité importante (L. Chauvet, L. Jacolin, 2016)
En favorisant l’inclusion financière, les SFM participent également à la formalisation des économies des PED, le secteur informel représentant dans ces pays une part significative de l’activité économique (35 % du PIB en moyenne selon le FMI). L’usage des moyens de paiement mobiles permet aux entreprises de réaliser d’importants gains de productivité par rapport à l’utilisation de la monnaie fiduciaire via la sécurisation et une baisse des coûts de transaction. L’utilisation des SFM génère des quantités de données considérables (big data) simplifiant l’évaluation de la solvabilité des emprunteurs. En réduisant les asymétries d’information, le déploiement des SFM permet d’améliorer l’accès au crédit des entreprises, ce qui constitue pour elles une incitation puissante à entrer dans le secteur formel. Keneck, Jacolin et Noah (2019) montrent ainsi que l’arrivée des SFM a débouché sur une réduction moyenne de la part du secteur informel de l’ordre de 2 à 4 % du PIB sur la période 2000-2015. Ces effets pourraient s’amplifier avec la diffusion de ces services et leur diversification.
Grâce à ses effets incitatifs, la digitalisation peut contribuer aux efforts de mobilisation des ressources fiscales. Alors que les transactions économiques dans les PED, en particulier dans leur secteur informel, sont caractérisés par une prédominance du cash, le développement des SFM peut permettre d’accroitre la transparence des transactions et d’en diminuer les coûts. La formalisation de l’économie induite peut ainsi aboutir à un élargissement des bases fiscales et une meilleure collecte, ainsi qu’à une meilleure efficacité des administrations fiscales et douanières, notamment dans la lutte contre la fraude. Ces effets indirects s’ajoutent aux gains directs de mobilisation des ressources générés par la digitalisation des administrations fiscales elles-mêmes (collecte, lutte la fraude), estimées à près de 110 milliards USD par an.
Pour qu’elle soit un outil de développement durable, les risques liés à la digitalisation doivent être maitrisés.
Grâce à ses effets de rattrapage (leapfrogging effects), la digitalisation (accès à internet, services financiers mobiles) peut être considérée comme une des réponses aux importants déficits d’infrastructures de transport des PED, qui nécessitent, pour l’Afrique seulement, des investissements annuels de l’ordre de 47 milliards USD. Pour tirer parti de manière soutenable des externalités positives créées par l’innovation technologique, il convient toutefois d’en gérer au mieux les risques.
Le processus de digitalisation lui-même peut fournir des réponses à certains de ces risques, particulièrement dans des pays aux infrastructures administratives limitées. Au-delà des administrations fiscales, certains PED se sont attachés à digitaliser et donc sécuriser les états civils ou les cadastres. En Inde, la base d’identification biométrique Aardhar couvre ainsi plusieurs centaines de millions de personnes, facilitant l’authentification des utilisateurs de services numérisés. La transparence accrue permise par la digitalisation, ainsi que l’exploitation des données digitales fournies en masse (big Data) peut également aider à combattre les mouvements de capitaux illicites (blanchiment, financement du terrorisme) et contribuer à améliorer la gouvernance de ces pays.
Il parait en outre crucial de consolider les infrastructures physiques sous-jacentes à l’accès à internet (câbles sous-marins) et à la téléphonie mobile (réseau cellulaire). Leur vulnérabilité est particulièrement forte dans les PED, parfois exposés au changement climatique ou aux désastres naturels, à un manque de fiabilité des infrastructures énergétiques (réseaux électriques défaillants) ou aux structures de gouvernance fragiles (actes de sabotage, terrorisme). Les ruptures de service peuvent réduire significativement les gains de l’accès à internet (Cariolle, 2018).
Plus généralement, la lutte contre les « cyber risques » (fraude interne, vol de données, usurpation d’identité, ruptures de service) devient un enjeu majeur dans les pays en développement comme développés. L’enjeu en est d’assurer la fiabilité et la protection des données tant des entreprises, en particulier les PME, que des services financiers qui les accompagnent..
La digitalisation des entreprises, en tant que processus multiforme et mondialisé, implique une meilleure coopération internationale non seulement entre régulateurs nationaux mais aussi avec les acteurs même de l’innovation, en premier lieu en ce qui concerne la cybersécurité. Dans le domaine financier, qui intéresse directement les banques centrales, cette coopération est conduite notamment via les différents organismes internationaux de normalisation ou les groupes créés par le G20, comme le Partenariat Global pour l’inclusion financière. Créer en amont un écosystème proactif et sécurisant pour les nouveaux acteurs en favorisant les échanges entre autorités publiques et les acteurs de la digitalisation, à l’instar des Labs créés par plusieurs banques centrales européennes, peut enfin permettre d’évaluer et de maitriser en amont les risques de l’innovation tout en favorisant son développement.
AGENDA
Trois webinaires ayant pour thème la confiance numérique et l’émergence de l’Afrique auront lieu très prochainement :
Jeudi 17 septembre 2020, 11h00 (heure Paris) : Confiance numérique et fourniture de services de base en Afrique, sous le haut patronage de Mme Nialé Kaba, Ministre du Plan et du Développement de la Côte d’Ivoire.
Jeudi 24 Septembre 2020, 11h00 (heure Paris) : Confiance numérique et inclusion financière
Jeudi 1 octobre 2020, 11h00 (heure Paris) : Confiance numérique, entrepreneuriat et création d’emploi. Information et inscription