La dynamique actuelle de la population africaine est unique et aura inéluctablement une influence considérable sur la démographie mondiale de ce 21e siècle, et le développement du continent. L’Afrique suivra-t-elle la voie des pays asiatiques, dont le décollage économique s’explique en grande partie par un dividende démographique particulièrement élevé ? Le potentiel est immense, mais le(s) chemin(s) pour y parvenir restent encore incertains…

 

Une croissance démographique sans précédent

La population de l’Afrique a plus que triplé au cours de la seconde moitié du 20e siècle, passant de 230 à plus de 800 millions d’habitants aujourd’hui. En 2004, les prévisions des Nations Unies établissaient la population africaine à 2,2 milliards d’habitants d’ici à 2100. Moins de deux décennies plus tard, la trajectoire démographique de l’Afrique a surpris tout le monde y compris les démographes, rendant ces prévisions complètement obsolètes. La raison est toute simple : la fécondité n’a pas baissé comme prévu. Le continent africain n’a pas suivi la trajectoire de l’Asie ou de l’Amérique Latine, où le nombre d’enfants par femme est passé de 5 à 2,5 en moyenne entre 1970 et aujourd’hui.

Selon les prévisions les plus récentes, c’est dès 2050 que la population africaine comptera plus de 2 milliards de personnes (2,4 milliards pour être plus précis). Cela représente plus de 42 millions de personnes supplémentaires chaque année d’ici 2050, soit 3,5 millions de personnes de plus par mois ou 80 nouvelles personnes par minute. C’est l’équivalent de la population de Dakar par mois ! D’ici à la fin du siècle, le continent contribuera à 82% de la croissance démographique totale, soit 3,2 milliards de personnes sur un total de 3,8 milliards.

Les mutations à l’œuvre au sein de la démographie africaine sont relativement simples. En effet, depuis le milieu du siècle dernier, la santé publique s’est améliorée entrainant à la fois une forte baisse de la mortalité infantile et un allongement de l’espérance de vie[1]. Parallèlement, le nombre moyen d’enfants par femme (le taux de fécondité total) demeure le plus élevé au monde. En conséquence, le continent se retrouve avec la plus jeune population de la planète, avec plus de 40% des africains qui ont moins de 15 ans.

Ce boom démographique caractérisé par un rythme de naissance quatre fois supérieur à la mortalité peut être facteur d’inquiétude surtout s’il est mal géré. Il faut cependant rappeler qu’intrinsèquement la croissance démographique n’est pas forcément un facteur handicapant, elle est même souhaitable et recherchée du point de vue économique.

 

Le dividende démographique, levier de développement…

Le continent n’a pas encore réalisé la (très attendue) transition démographique, vecteur du dividende démographique. Ce terme désigne l’avantage économique résultant d’une augmentation significative du ratio adultes en âge de travailler par rapport au nombre de personnes à charge (enfants et personnes âgées). Lorsque les taux de natalité baissent fortement, la structure par âge évolue au profit d’un plus grand nombre d’adultes en âge de travailler. Le corolaire de ce processus est une accélération de la croissance économique grâce à une productivité accrue, une épargne plus importante pour les ménages et une réduction du coût des services sociaux de base.

Si cette transition attire tant l’attention, c’est que les économistes et acteurs du développement ont en tête le modèle de décollage économique des Tigres et Dragons Asiatiques. De façon quasi-consensuelle[2] les économistes identifient comme fondement majeur de ce décollage économique la réalisation d’un dividende démographique particulièrement élevé, qui a permis in fine de réduire la pauvreté et les inégalités. Toutefois, l’avènement des bénéfices de ce dividende a été rendu possible par une préparation significative en amont : des investissements importants dans le capital physique en particulier le capital humain, une forte épargne, une gestion saine de l’économie, une politique de développement orientée vers les industries exportatrices, etc.

A l’aune de son dividende démographique, le continent africain semble suivre une trajectoire un peu différente. Cependant, au regard de l’expérience asiatique, mutatis mutandis, quelles sont aujourd’hui les priorités d’investissement africaines favorable à la réalisation du dividende démographique ?

 

L’Afrique face à son possible dividende démographique

Dans le cas de l’Europe, la transition démographique s’est produite depuis plus d’un siècle. Au cours de cette période, la population a été en mesure de s’adapter socialement et économiquement, en réponse à la réduction de la mortalité et de la fécondité (Reher, 2011). Ainsi, avec la baisse de la mortalité infantile, l’investissement des familles dans la santé et l’éducation de leurs enfants a fortement augmenté et la participation des femmes au marché du travail s’est accrue. Quant à l’Asie et l’Amérique Latine, ils ont connu un rythme de transition très rapide grâce à l’utilisation de technologies plus avancées comme les vaccins, les antibiotiques et les méthodes contraceptives modernes dès le début de leurs transitions. On estime par exemple que l’expérience de dividende démographique des pays d’Asie de l’Est a représenté plus de 20 % de la croissance économique entre 1960 et 1980 (Bloom et Williamson 1998, Bloom et al. 2000). Ce dividende démographique asiatique explique en grande partie la différence de développement entre de nombreux pays d’Asie de l’Est et africains. En Asie de l’Est, les effets successifs d’une baisse rapide de la fécondité et d’une augmentation de la population active par rapport aux enfants et adultes à charge ont conduit à un regain de la productivité économique entre les années 1970 et 2000 (Bloom et al., 2003 ; Eastwood et Lipton, 2012). Cela a surtout été possible car ces pays ont bénéficié d’un leadership politique fort et de plans de développement clairs et ciblés, en investissant massivement dans une éducation de qualité et la prédisposition des jeunes à l’employabilité, l’attractivité des IDE, des conditions et opportunités pour une meilleure contribution au monde du travail et la vulgarisation de l’accès aux services de planning familial.

L’Afrique pourrait suivre la même voie. Elle se trouve aujourd’hui dans une configuration démographique historique qui pourrait lui permettre de bénéficier de son dividende. Mais ce changement de la structure par âge, résultat de la transition démographique, est une condition nécessaire mais non suffisante pour réaliser ce dividende. Ainsi, il est crucial d’engager des investissements préalables dans l’éducation, la santé, la planification familiale, l’urbanisation, le secteur privé, plus particulièrement les PME et la gouvernance. Ces investissements doivent être réalisés avant la transition vers une structure par âge économiquement favorable dans le but de tirer profit du dividende démographique. Ces facteurs contribuent à expliquer par exemple pourquoi la population du Niger augmente de 3% par an, tandis que celle du Botswana augmente de 1% par an. Dans le même temps, le continent court le risque que la période des investissements anticipés soit relativement courte dans ces pays, ce qui pourrait empêcher de tirer pleinement profit de ces mutations démographiques importants de manière stable et durable (Reher 2011). Ces réformes et investissements prioritaires commencent déjà à s’apparenter à des urgences.

 

Les défis de la fécondité et la planification familiale

La maîtrise de la démographie africaine manque encore aujourd’hui de moyens financiers et humains en raison d’un faible engagement politique, un manque de données et une insuffisance de la recherche dans ce domaine. De plus, les enjeux de fécondité et de planification familiale ont rarement été privilégiés au cours de ces 30 dernières années, arrivant en second plan derrière des urgences de santé publique majeures : la prévention du VIH/Sida, la prise en charge des grossesses, des interventions obstétricales et néonatales, les épidémies de choléras et Ebola, etc.

De ce fait, de nombreux pays africains au sud du Sahara ne sont encore qu’à des stades embryonnaires de leur transition démographique. Or pour être au rendez-vous d’une croissance soutenue et durable, qui améliore le bien-être des populations, il est fondamental aujourd’hui de réduire le niveau de fécondité[3] pour accélérer la transition démographique et faire baisser le taux de dépendance.  Cette transition est plus lente que dans les autres régions en développement. Bien que les taux de croissance économique aient été rapides et soutenus au cours des dernières décennies, le niveau de fécondité continue de faire peser un risque d’imprévisibilité sur la dynamique de développement du continent à long terme. Cette baisse de la fécondité est un processus complexe qui ne peut être rendue possible à l’échelle de la famille qu’au travers d’un accès à l’information et une utilisation volontaire par les femmes des méthodes contraceptives modernes pour répondre à leurs besoins de planification familiale. Le volet informationnel est par conséquent un maillon essentiel du processus. Près de 25 % des femmes dans les PED ont des besoins non satisfaits en matière de planification familiale, c’est-à-dire qu’elles veulent éviter une grossesse, mais n’ont pas accès ou n’utilisent pas de méthodes contraceptives modernes (Darroch et al 2011, OMS et UNICEF, 2012). Notons par ailleurs que le choix d’espacement ou de limitation des naissances dépend directement de plusieurs facteurs dont la santé et la survie des enfants existants, la connaissance des bienfaits pour la santé de l’espacement des naissances, l’utilité d’investir dans l’éducation des enfants existants, le coût d’opportunité pour les femmes d’avoir des enfants supplémentaires, etc.

Les politiques et programmes dans les secteurs sanitaires et éducatifs mériteraient d’être renforcés en vue de contribuer à réduire la taille souhaitée de la famille. Car le niveau d’éducation des femmes, leur participation au marché du travail formel et la santé des enfants sont associés négativement au niveau de fécondité souhaité. Aussi, l’accès limité à des structures adaptées et des méthodes de contraception modernes ainsi que la qualité parfois médiocre des conseils constituent en grande partie les facteurs explicatifs des défaillances observées (OMS, 2015). Cela traduit un réel besoin d’améliorer l’accès et la qualité des structures de planification familiale dans la perspective d’accroître l’utilisation volontaire des méthodes contraceptives modernes, qui entraînera une baisse plus rapide de la fécondité à l’échelle des différents pays. En Afrique de l’Ouest par exemple, il y a toujours un inactif pour un actif, c’est-à-dire que le taux de dépendance est de 100%. Une augmentation de 4 à 5 fois les moyens actuels dédiés à la planification familiale permettrait aux pays dans vingt ans de diviser par deux leur niveau de dépendance (Guengant, 2015).

 

L’emploi, le nerf de la guerre !

L’Afrique Sub-saharienne abrite la population la plus jeune du monde. Les moins de 25 ans représentent 67% de la population et les 15 à 24 ans représentent à eux seuls 1/5 de la population mondiale de jeunes. Ils sont de plus en plus nombreux à migrer vers les milieux urbains en raison de la détérioration des conditions de vie dans les zones rurales (Banque Mondiale, 2015). Mais peu importe d’où ils viennent et où ils vont, cette jeune population a de grandes attentes. Malgré les nombreux efforts, la création d’emplois notamment pour les jeunes dans la plupart des pays africains reste totalement décorrélée de la croissance démographique. Or, cette force de travail constitue l’avantage compétitif le plus important du continent, mais malheureusement trois chômeurs sur cinq sont des jeunes (BIT, 2017). Même les jeunes les plus qualifiés se retrouvent dans des emplois peu rémunérés…quand ils arrivent en trouver. Ce niveau élevé de chômage représente un réel manque à gagner et limite fortement le potentiel attendu du dividende démographique. Pire encore, cette jeunesse pourrait représenter une réelle menace pour la stabilité du continent car des jeunes sous-éduqués et sans emploi sont davantage exposés aux activités illégales et en proie aux conflits armés et au terrorisme. Ce chômage structurel des jeunes découle en grande partie d’une inadéquation entre les formations, les compétences proposées et les exigences des employeurs, un entrepreneuriat majoritairement informel et insuffisamment promu, une fracture numérique et technologique importante, des difficultés aiguës d’accès au capital et ainsi que le fléau de la corruption.

Les décideurs doivent définir des programmes d’enseignements à la lumière des emplois d’aujourd’hui et de demain, en étroite concertation avec les acteurs du secteur privé. En cela, il est essentiel que les formations scolaires et académiques soient revues si on veut être en mesure de produire des compétences qui répondent aux attentes des employeurs. Cela va de pair avec une insertion des jeunes peu qualifiés dans des cursus professionnalisants. Pour la grande partie des diplômés, l’obtention de la première expérience professionnelle est l’étape la plus difficile. Pour y remédier, des incitations[4] pourraient être fournies aux entreprises qui encouragent par exemple les stages, l’apprentissage, etc.

L’entrepreneuriat est également une voie. Historiquement, les États africains ont considéré l’entrepreneuriat et l’innovation comme une composante marginale de l’économie, comme en témoigne l’absence d’un ministère dédié dans la plupart des pays. Evidemment, dans un contexte de rareté de l’emploi salarié, doublée d’une population de jeunes en forte croissance, ces derniers sont davantage incités voire obligés de faire preuve d’ingéniosité entrepreneuriale pour gagner leur vie. Ils sont partout dans les villes africaines, essayant de tout vendre, des cartes de recharge téléphonique aux papiers mouchoirs en passant par l’eau potable en plastique et les produits artisanaux. A l’intérieur des quartiers, les femmes tiennent des ateliers de couture ou de coiffure…tandis que les jeunes hommes lavent des véhicules, sculptent du bois ou réparent des pneus crevés. Au sein des marchés animés, ils y vendent des fruits et légumes cultivés localement, des vêtements d’occasions importés, des téléphones portables ou des produits ménagers. Sur les principales artères des villes ou dans l’hinterland, ils remplissent les nids de poule sur les routes ou régulent la circulation contre une possible générosité financière des automobilistes. Cet entrepreneuriat, certes très petit et majoritairement informel, constitue pourtant la première source de subsistance des jeunes africains (Welter, 2017). A cet égard, la question entrepreneuriale doit être au cœur de l’élaboration des politiques publiques. Cela passe par un cadre réglementaire favorable et une simplification de la création d’entreprise, la facilitation de l’accès au financement, la création d’incubateurs et accélérateurs, l’octroi de subvention à l’investissement, la promotion de l’esprit d’entreprise et d’initiative, le soutien aux instituts de recherche, etc. A noter que ces initiatives pourraient s’avérer inefficaces si elles sont mises en œuvre de façon isolée et non coordonnée.

Il faut par ailleurs noter la centralité de l’agriculture et des PME dans cette réflexion. Le secteur agricole est le premier pourvoyeur d’emplois sur le continent (60% de la population active) et a l’extraordinaire potentiel d’être un secteur d’investissement viable pour les jeunes si elle est rendue attrayante[5]. Ce secteur pourrait ainsi faire sa transition en passant d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale. Quant aux PME, elles constituent l’épine dorsale des économies africaines avec près de 90% du tissu entrepreneurial et environ 80% des emplois. La réussite de ces entreprises conditionne l’emploi des jeunes. Mais elles demeurent confrontées de façon chronique à un rationnement du crédit qui limite leur croissance et entraine en général des aventures entrepreneuriales sans issue. En conséquence, il faut créer les conditions pour diversifier les options de financement. Ces options sont multiples et variées : la microfinance, les Business Angel, le traditionnel prêt bancaire, le crédit-bail, l’investissement en capital et notamment l’investissement d’impact qui priorise les entreprises à forte valeur ajoutée sociale et environnementale, le crowdfunding, les prêts participatifs, etc.

 

Conclusion

Il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui l’Afrique est au tournant historique de son dividende démographique. Saura-t-elle le prendre comme un pilote de Formule 1 aguerri ou comme un conducteur amateur sans permis de conduire ? Nous sommes presque déjà au moment critique, celui où la population en âge de travailler sera à son maximum. Pour que le continent Africain puisse bénéficier de ce dividende démographique, les mesures à mettre en place de manière prioritaire (voire urgente) sont multiples, pour avoir à moyen terme une population en âge de travailler formée et en bonne santé :
 La création d’un environnement politique et économique propice à des investissements de long terme
Les jeunes doivent être au cœur de l’élaboration des politiques publiques et des stratégies de développement
Les investissements dans l’éducation, la santé, la planification familiale, l’autonomisation des femmes, l’amélioration des compétences, l’innovation
La facilitation de l’accès au financement, la promotion de l’emploi des jeunes, un soutien appuyé au secteur privé en particulier, l’entrepreneuriat et le tissu des PME

L’ampleur du dividende dépendra du rythme de la transition démographique et des politiques publiques. Il ne peut être total et ne sera à la hauteur des espérances que si ces réformes et investissements préalables sont effectués. C’est un devoir de lucidité qui parait indispensable si le continent africain veut répondre aux aspirations de sa population jeune et être au rendez-vous de son dividende démographique.

 


Notes

[1] Les 12 millions d’africains nés en 1955 ne pouvaient espérer vivre que jusqu’à 37 ans alors la trentaine de millions d’africains nés l’an dernier peuvent espérer vivre jusqu’à plus 60 ans.

[2] L’expérience de décollage économique asiatique a été revisitée par divers économistes entre autres Stiglitz, Chakraborty ou Thorbecke.

[3] Le niveau de fécondité demeure le plus élevé au monde, avec une moyenne de plus de 5 enfants par femme (UN population).

[4] Comme c’est le cas désormais en Côte d’Ivoire où les entreprises qui accueillent des stagiaires peuvent bénéficier d’économies d’impôt.

[5] En témoigne le programme « ENABLE Youth » de la BAD qui aide les “agripreneurs” à accéder aux capitaux et compétences nécessaires. Le but étant de créer environ 300 000 entreprises agroalimentaires et 1,5 million d’emplois dans 30 pays africains.