Face aux fermetures d’établissements scolaires qui ont eu lieu dans au moins 188 pays autour du monde suite à la crise de Covid-19, beaucoup d’institutions éducatives ont dû mettre en place un système d’apprentissage à distance. Cette réorganisation temporaire de l’activité aura assurément un impact fort et durable sur les structures éducatives.
Si cet apprentissage à distance est parfois complexe, notamment à cause des problématiques de connexion ou de disponibilité des outils informatiques, il l’est encore plus pour le secteur de la petite enfance, compte tenu du risque de surexposition des tout-petits aux outils numériques et l’absence d’autonomie de ces derniers dans leur apprentissage, ce que témoignent les trois acteurs dédiés à ce secteur rencontrés pour cet article.
Un apprentissage à réinventer
La crise sanitaire actuelle a forcé les institutions éducatives dans leur ensemble à réinventer et repenser leurs activités. La Coccinelle, un réseau de crèches et d’écoles maternelles en Côte d’Ivoire a ainsi mis en ligne des exercices, des jeux éducatifs, des comptines et quelques activités de graphisme, pré-lecture et de mathématiques pour que les enfants ne perdent pas leurs acquis. Chez Kër ImagiNation, un centre d’apprentissage et de culture pour les enfants au Sénégal, des sessions en ligne par Zoom ont été effectuées en petits groupes pour permettre une meilleure participation des enfants. Au fur et à mesure, les contenus et la façon d’interagir à distance avec les enfants se sont affinés, avec par exemple l’utilisation de marionnettes ou la proposition d’expériences éducatives simples, comme une expérience sur l’eau, que les enfants pouvaient réaliser chez eux avec leurs parents.
L’apprentissage en ligne, bien qu’il soit possible, et parfois même favorable, pour les matières théoriques, ne se prête pas facilement à l’apprentissage pratique. Ainsi, chez La Coccinelle, les parents devaient imprimer les exercices pour permettre aux enfants de travailler sur papier. Car beaucoup de domaines, comme par exemple le graphisme, ne peuvent être appris en ligne. Chez, l’Institut Académique des Bébés au Sénégal, une école de formation diplômante dédiée à la formation professionnelle des métiers de l’Enfance, les matières pratiques représentent environ 45% du cursus des apprenant.e.s. Pour ces matières, l’apprentissage en ligne n’était pas envisageable et des ateliers pratiques ont été réalisés dans les locaux, en petits groupes. Cela a nécessité néanmoins un investissement conséquent pour la promotrice, car c’est toute l’organisation de l’école qu’il a fallu repenser. L’espace a dû être réaménagé, pour respecter le mètre de distanciation sociale entre les apprenant.e.s. Un achat conséquent de masques et de gel hydro alcoolique a dû être réalisé pour équiper les apprenant.e.s et formateurs.rices. Et enfin, entre chaque groupe, une désinfection des locaux s’imposait.
L’apprentissage en ligne, possible et parfois favorable pour les matières théoriques, ne se prête pas facilement à l’apprentissage pratique
Un apprentissage empli de difficultés
La crise a révélé d’énormes disparités dans le niveau de préparation des pays aux situations d’urgence, l’accès des enfants à Internet et la disponibilité du matériel pédagogique. Ces difficultés rendent difficile le maintien en éveil et l’apprentissage des enfants éloignés de ces outils. De plus, pour réaliser cet apprentissage à distance, il a fallu souvent former, à la fois les parents et les formateurs.rices, aux outils numériques.
Enfin, l’école à la maison nécessite pour les tout-petits la présence d’un parent ou d’un adulte, à même d’accompagner l’enfant dans son apprentissage. Or les occupations professionnelles de ces derniers n’étaient pas forcément compatibles avec les besoins des enfants. La fermeture des établissements scolaires a laissé les parents en désarroi sur la façon d’accompagner l’apprentissage des enfants à la maison. Consciente de ces enjeux, Karima Grant, fondatrice de Kër ImagiNation, souhaite désormais développer un projet dédié spécifiquement aux parents, afin de les accompagner, à travers une plateforme, dans la parentalité et la pédagogie.
La fermeture des établissements scolaires a laissé les parents en désarroi sur la façon d’accompagner l’apprentissage des enfants à la maison.
Une même inquiétude : le futur du secteur de la petite enfance et, en conséquence, le futur de ces enfants
Les réalités du secteur de la petite enfance sont particulièrement préoccupantes : en effet, le recouvrement des frais de scolarité est encore plus complexe en période de fermeture des établissements scolaires, auquel s’ajoutent les charges de personnel et de fonctionnement de l’école. Beaucoup d’acteurs de la petite enfance en Afrique Subsaharienne sont aujourd’hui dans une situation délicate, avec beaucoup d’incertitudes pour la rentrée scolaire.
Ces derniers se sentent oubliés par les autorités publiques, alors même que le secteur de la petite enfance est primordial pour le développement et la construction de l’enfant. Au Bangladesh, une étude mise en place par le Strategic Impact Evaluation Fund (SIEF) de la Banque Mondiale a révélé que fournir aux jeunes enfants une année supplémentaire d’éducation préscolaire est un moyen efficace d’améliorer la préparation à l’école pour les filles et les garçons (et surtout les filles). Les chercheurs ont mesuré l’impact d’une année supplémentaire de préscolaire des enfants à l’âge de 4 ans, par rapport à l’année standard d’un an seulement à partir de 5 ans. Au bout de deux ans, les enfants à qui l’on a proposé une année supplémentaire de préscolaire ont obtenu des résultats nettement plus élevés en matière de lecture, d’écriture, de calcul et de développement socio-affectif que les enfants qui n’ont accès à la préscolarisation qu’à partir de l’âge de 5 ans.
Selon Sara Adico, directrice de La Coccinelle, « L’éveil, la simulation et l’épanouissement des enfants ont été relégués au dernier plan. Or si la petite enfance est bien encadrée, elle favorise un bon développement psychique de l’enfant, ce qui est porteur pour toute la nation ». Les enfants auraient déjà commencé à désapprendre, tant au niveau des compétences (graphisme, dictée…), qu’au niveau psychique (interactions sociales, motricité…), une situation plus aggravée pour les enfants souffrant de problèmes psychosociaux. Selon ces acteurs, si la situation venait à s’éterniser, cela devrait affecter le primaire, le secondaire et enfin le supérieur dans les années à venir, et ainsi représenter un réel problème de capital humain et causer de sérieuses répercussions économiques.
Si la situation venait à s’éterniser, cela devrait affecter le primaire, le secondaire et enfin le supérieur , et ainsi représenter un réel problème de capital humain dans les années à venir
Que ce soit pour Sara Adico de La Coccinelle, Karima Grant de Kër ImagiNation ou Fa Diallo d’IAB, la crise actuelle peut être une opportunité de réinventer et de repenser le secteur de la petite enfance. C’est un moyen, pour la communauté éducative de ce secteur, une fois les faiblesses de l’outil numérique comme solution à l’apprentissage à distance pour la petite enfance reconnues, de chercher des solutions innovantes destinées à améliorer la valeur ajoutée à la prise en charge de l’enfant. Mais pour cela, une réflexion doit être menée avec l’ensemble des parties prenantes (les familles, les institutions publiques, les grands employeurs…) pour trouver et créer des dispositifs favorables à la construction psychologique des enfants. Concernant la petite enfance, il ne convient pas de limiter ses efforts dans le domaine de la santé ou de la nutrition, car l’inexistence de structure de prise en charge de qualité de la petite enfance peut être spécialement dommageable pour le développement psychique de l’enfant et ainsi, à plus long terme, avoir de réelles implications économiques et de capital humain.
Pour aller plus loin
Découvrir dans cette série l’article “Les écoles africaines au temps du Covid-19”