Les récentes crises et les vulnérabilités structurelles qui en découlent ont considérablement diminué la capacité des pays du Sahel, déjà historiquement très faible, à attirer l’investissement. À titre d’exemple, après…
Les récentes crises et les vulnérabilités structurelles qui en découlent ont considérablement diminué la capacité des pays du Sahel, déjà historiquement très faible, à attirer l’investissement. À titre d’exemple, après un record historique de 860 millions USD en 2019 (5% du PIB), les investissements étrangers directs vers le Mali (entrées nettes) ont drastiquement chuté pour n’atteindre que 252 millions en 2022 (1,3% du PIB).
Peu priorisé dans un contexte sécuritaire fragile, le développement du secteur privé joue pourtant un rôle central pendant et après les situations conflictuelles. L’expérience a démontré que le secteur privé demeure actif même en période de conflit et qu’il est capable de s’adapter pour surmonter les chocs systémiques.
Dans cet entretien, Mohamed Keita, entrepreneur malien, Directeur et Co-fondateur de Zira Capital, entreprise créée en 2022 et dédiée au financement et à l’accompagnement des start-ups et PME au Mali, partage son expérience de levée de fonds et plaide pour la nécessité de continuer de soutenir le secteur privé malgré un contexte sécuritaire et socio-politique difficile.
Entreprenante Afrique : Pouvez-vous faire un état des lieux de la situation entrepreneuriale au Mali ?
Mohamed Keita : Depuis une dizaine d’années, l’économie malienne a été impactée par les effets combinés de la crise sécuritaire et les crises politico-institutionnelles. Nous restons très attentifs face à l’évolution de la situation et notre souhait en tant qu’entrepreneur est bien sûr de retrouver rapidement un environnement des affaires stable.
Malgré ce contexte difficile, malgré les défis, nous observons que les entrepreneurs arrivent toujours à créer des opportunités localement. Ils développent des projets et des biens qui satisfont les besoins locaux. Ils créent et maintiennent des emplois qui font vivre des milliers de ménages et qui stimulent par la même d’autres aspects de l’activité économique.
Les entreprises maliennes font preuve d’une résilience exceptionnelle mais ont besoin de partenaires stratégiques pour les accompagner, ce sur le plan financier et extra financier. C’est la raison pour laquelle, avec d’autres acteurs (la BNDA, Investisseurs & Partenaires et un certain nombre de particuliers), nous avons entrepris de lancer le fonds Zira Capital. L’objectif est d’accompagner ces petites entreprises locales à travers des mécanismes de financement et des outils adaptés à leur projet de développement.
Lever un fonds pour soutenir l’entrepreneuriat dans un pays qui présente autant de risques n’est pas une mission évidente… Quel a été votre discours envers les financeurs ?
M. K.: Le modèle de Zira Capital, fonds co-créé par ou avec des acteurs locaux pour financer des entreprises locales en capital, est un modèle qui a déjà été mis en place et commence à faire ses preuves dans d’autres pays africains, dans d’autres pays de la zone Sahel, notamment au Burkina Faso et au Niger. Par contre, c’est un dispositif inédit dans l’écosystème entrepreneurial malien.
L’initiative a été bien accueillie, et a suscité de l’enthousiasme auprès des entrepreneurs maliens. Avant même la création officielle de la société de gestion, nous avions pu constituer un pipeline de projets de qualité. Nous avons constitué une base de donnée d’entreprises à fort potentiel dans des secteurs variés, des secteurs en lien avec les besoins fondamentaux de l’économie malienne : l’agroalimentaire qui participe à hauteur de 45% à la formation du PIB et occupe 80% de la population, mais aussi dans l’énergie, les services essentiels, la santé et l’éducation.
Notre principal argument pour convaincre sur la nécessité de créer notre dispositif de financement a d’ailleurs été ce pipeline constitué d’entrepreneurs de qualité, ancrés dans le pays et dont les besoins ont été clairement identifiés.
Investir dans un pays comme le Mali implique bien évidemment de prendre un certain degré de risque. Mais des mécanismes peuvent être mis en place pour les limiter. Durant la levée de fonds, qui a durée plusieurs années, nous avons fait face à de nombreux défis. Nous avions identifié énormément de partenaires potentiels notamment certaines filiales de multinationales avec qui les discussions étaient arrivés à un stade avancé, mais dont les enthousiasmes se sont peu à peu calmés eu égard de l’évolution de la situation politique. Ce qui est compréhensible à partir du moment où un certain degré de sécurité de l’investissement ne peut plus être garanti.
Mais fort heureusement pour nous, la grande majorité des investisseurs identifiés dès le début du projet ont maintenu leur confiance en nous et notre projet et nous ont accompagnés dans notre premier closing en 2022.
“Investir dans un pays comme le Mali implique de prendre un certain degré de risque, mais des mécanismes peuvent être mis en place pour les limiter.”
Les pays du Sahel ont reçu une aide publique significative de la communauté internationale ces dernières années, pour un bilan mitigé. Faut-il repenser l’aide publique au développement au Mali ? Et en quoi l’investissement dans les PME représente une alternative plus efficace/impactante ?
M.K. : En 2021, le Mali a reçu 1.42 Milliard USD d’aide publique au développement. Ce qui représente une ressource importante pour le pays de manière générale. Je ne dirais pas que l’aide est inopportune, mais que ce dispositif doit être davantage fléché sur des acteurs terrain, notamment les entreprises privées. Certaines approches historiques de l’aide publique ont montré leurs limites. Et il s’agirait de déployer des mécanismes innovants et des moyens plus conséquents pour permettre aux institutions publiques de financement du secteur privé (DFIs) d’être plus présentes, plus rapides et plus performantes.
Je fais partie de ceux qui sont convaincus que le développement de nos États, notamment des États fragiles comme le Mali, passera forcément par le développement d’un tissu de petites et moyennes entreprises. Et un moyen efficace de le faire serait de faire le pari de mettre davantage de ressources à la disposition de ces entreprises-là, surtout des ressources qu’elles ont du mal à mobiliser localement.
“Je fais partie de ceux qui sont convaincus que le développement de nos États, passera par le développement d’un tissu de petites et moyennes entreprises. Les dispositifs d’aide publique au développement devraient être davantage fléchés sur ces PME.”
Ce qu’il faut noter, c’est que le tissu entrepreneurial malien est très vivant. Il y a une forte effervescence, il y a de plus en plus de personnes qui se lancent. Des personnes plutôt jeunes, qui apportent des solutions nouvelles, qui développent des services de qualité, qui arrivent à lancer des projets. Ceci fait naître une note d’espoir dans le tableau général du pays qui est quand même assez compliqué, avec une crise sécuritaire et une instabilité politique qui perdurent depuis une dizaine d’années. Pour ma part, je fais partie de ceux qui font le pari que le renouveau du Mali viendra en grande partie du secteur privé.
Aller plus loin : dans la série “Résilience et Adaptation”, découvrez l’article de Maïmouna Baillet,“Le combat des entrepreneures nigériennes”.