Capitalisant sur la révolution entrepreneuriale africaine actuellement en plein essor, les acteurs de l’aide publique au développement font de plus en plus le pari de soutenir les nouvelles générations d’entrepreneurs…
Capitalisant sur la révolution entrepreneuriale africaine actuellement en plein essor, les acteurs de l’aide publique au développement font de plus en plus le pari de soutenir les nouvelles générations d’entrepreneurs qui souhaitent contribuer à la création d’emplois et l’émergence d’une croissance plus inclusive sur le continent africain. C’est dans ce contexte que sont nés ces dernières années des programmes, initiatives ou structures se réclamant de « l’accélération » d’entreprises.
Note : La deuxième partie de l’article, s’intéressant au cas concret d’une entreprise ivoirienne accompagnée par un programme d’accélération, sera disponible d’ici une semaine.
L’accélération : un concept prometteur pour les jeunes pousses africaines
Dans le secteur de l’entrepreneuriat, l’accélération se définit comme une prestation de service qui s’adresse aux entreprises en croissance, au moyen de mentorat, de mise en réseau, et parfois de financement. L’emploi du terme accélération pour des programmes et dispositifs recouvre cependant des réalités bien différentes. On peut ainsi côtoyer des « accélérateurs » et start-up studios (à l’instar de GSMA Kenya, ou Flat6Labs Egypt), souvent des structures physiques ou virtuelles dont la majorité se concentre sur les startups de l’économie numérique(1) et est située dans des pays anglophones ; mais aussi des fonds d’investissement qui se définissent eux-mêmes comme des accélérateurs (à l’instar de Catalyst Fund ou Janngo) et/ou développent des gammes d’activités de programmes d’accélération pour diversifier leur portefeuille.
Ces programmes sont principalement financés par des bailleurs de fonds, des organisations internationales ou des donateurs privés (on peut notamment citer West African Trade Investment financé par USAID, ou encore les Orange Corners pilotés par l’Agence néerlandaise pour les entreprises).
À noter que les acteurs physiquement présents sur le continent africain ne sont plus les seuls à proposer ces programmes : dans un contexte mondialisé où l’accompagnement virtuel est largement favorisé, des accélérateurs internationaux, américains, latino-américains, européens, accueillent en leur sein des startups africaines de plus en plus nombreuses. Avant 2020, le célèbre Y Combinator nord-américain n’avait accompagné en présentiel que 12 startups africaines… un chiffre qui a triplé sur les deux dernières années.
Face aux besoins des entrepreneurs, une offre encore largement insuffisante
Cette apparente profusion des programmes d’accélération tend à donner l’impression que les besoins des jeunes pousses entrepreneuriales africaines sont désormais couverts. Une impression trompeuse souvent renforcée par les chiffres en croissance, et pourtant circonscrits à la tech, des levées de fonds venture capital dans une poignée de pays africains (Kenya, Nigeria, Afrique du Sud, Égypte).
Le nombre de jeunes entreprises à soutenir à l’échelle du continent, en phase d’accélération ou en amont lors de la phase d’incubation, est considérable ; alors que l’offre de financements en amorçage (pré-seed/seed) est quasi-inexistante si l’on rapporte le nombre de financements au nombre d’entrepreneurs. Le soutien financier et non financier à leur apporter doit couvrir des besoins pluriels, à la fois généraux et spécifiques, et demande donc du temps, des expertises ancrées localement et un calibrage chronophage et sur-mesure des diagnostics. Accélérer le développement d’une entreprise, ce n’est pas accélérer le temps d’accompagnement indispensable à sa croissance.
Malheureusement, la plupart des programmes financés par l’aide publique au développement ne sont pas suffisamment structurés pour dépasser la contradiction entre le temps nécessaire à allouer à chaque entrepreneur et le nombre de bénéficiaires à cibler. Bien souvent ces programmes ne veulent ou ne peuvent assumer le coût réel d’un accompagnement par entreprise, et prennent donc le risque d’agir uniquement en surface. Les moyens de mise en œuvre sont contraints, face à des réservoirs inépuisables de nouveaux entrepreneurs à appuyer, dont les problématiques de passage à l’échelle ne peuvent pas être résolues exclusivement par un accompagnement généraliste.
L’apparente profusion des programmes d’accélération peut donner une impression trompeuse : le nombre de jeunes entreprises à soutenir à l’échelle du continent est considérable et l’offre de financements en amorçage est encore largement insuffisante
S’inspirer et déployer les bonnes pratiques
Parce qu’il reste encore beaucoup à faire pour garantir le développement de l’entrepreneuriat africain, l’expérience accumulée ces dernières années par les acteurs qui mettent en œuvre des programmes d’accélération doit permettre d’identifier quelques « bonnes pratiques » qui gagneraient à être déployées sur de plus larges géographies :
(1) La segmentation des programmes est une valeur ajoutée
Tout dispositif d’accélération doit intégrer l’idée que coexistent au sein de la notion de ‘’jeunes pousses’’ des entreprises qui n’ont rien de comparable, tant dans leur activité que dans leur localisation ; et qu’à situations locales différentes, accompagnement différencié. La segmentation est donc un véritable atout sur le fond (car on comprend vite qu’une TPE/PME sahélienne dans le secteur agro par exemple, n’aura pas les mêmes besoins d’appui qu’une startup de e-commerce nigériane) et sur la forme (un gain de temps lors de la phase initiale de diagnostic). Elle est aussi une valeur ajoutée au sein des programmes qui privilégient une approche virtuelle et groupée, et qui seront en difficulté pour obtenir les résultats escomptés auprès de publics trop diversifiés.
Les programmes sectoriels, comme ceux dédiés aux entreprises du secteur agro (comme le PCESA financé par la coopération danoise au Burkina Faso), ou les initiatives focalisées sur le genre (comme la W Initiative de Access Bank Nigeria) sont plus à même de cerner les problématiques des entreprises, en plus de mieux appréhender les enjeux d’équité des territoires (urbains, ruraux…). Suivant cette même logique, les objectifs de résultats sont atteints quand le continuum d’accompagnement a été bien pensé. L’incubation en particulier n’est pas interchangeable avec l’accélération tant les besoins des entreprises peuvent différer d’une phase à l’autre(2).
(2) La multiplication de l’impact s’obtient en formant des acteurs intermédiaires locaux indispensables au développement des entrepreneurs
Les structures d’appui à l’entrepreneuriat (SAE) en particulier, mais aussi les experts et consultants indépendants qui doivent pouvoir trouver leur marché au-delà des aides ponctuelles des bailleurs de fonds(3). C’est en concourant à la montée en compétences locales de professionnels africains qu’un plus grand nombre d’entreprises pourront changer d’échelle. Outre Afric’innov, dont c’est la mission première dans les pays d’Afrique francophone, quelques acteurs financiers se sont récemment engagés à combler cet angle mort de l’offre de programmes. On peut notamment citer la collaboration d’Argidius et de Village Capital qui s’efforcent depuis 2020 de concourir à la structuration des SAE en Ouganda (Uganda Ecosystem Builders), et le travail de mentorat puis de financement de SAE effectué par Triple Jump et ses experts en Afrique subsaharienne.
(3) Les dispositifs d’accélération qui mettent à disposition des palettes d’outils complémentaires gagnent en efficience.
En premier lieu, des outils de financements d’amorçage adaptés, qui prennent spécifiquement en compte le manque d’habitude et d’aptitude à la gestion financière. Ces outils peuvent prendre la forme de l’avance remboursable, telle qu’actuellement pratiquée par exemple sur le programme I&P Accélération au Sahel. Elle pose les premiers jalons d’une relation avec un financeur, et permettra probablement de soutenir financièrement davantage de PME par effet de recyclage de l’argent(4).
En second lieu, des outils de renforcement de compétences alternant l’appui généraliste (pour viser la diffusion de compétences entrepreneuriales le plus largement possible) et l’appui ciblé (venture building, assistance technique). L’accompagnement technique de l’entreprise est en réalité tout aussi déterminant que l’appui financier. Les entreprises alumni de Y Combinator ne démentiraient pas que leur croissance doit davantage à l’accompagnement qualifié qu’à un financement initial, même si c’est bien ce dernier qui donne plus de crédit aux conseils prodigués.
Bien que la rareté du financement en amorçage soit un frein non négligeable, l’accompagnement, via le renforcement de compétences et l’assistance technique, est tout aussi déterminant.
Le renforcement de compétences généraliste (formations collectives, bootcamps et ateliers, webinaires etc.) est souvent connu et prisé des bailleurs de fonds, mais l’assistance technique est la grande absente de bon nombre de programmes d’accélération. L’assistance technique, c’est-à-dire la contractualisation avec des experts locaux sectoriels (juridique, commercial, technologique, managérial etc.) est pourtant critique pour l’amélioration des performances des entreprises pendant l’absorption de financements d’amorçage et le développement de leur traction. L’assistance technique est un outil éminemment pertinent quand elle est mise en œuvre par un investisseur, qui souhaitera renforcer l’entreprise là où il perçoit des risques qui ne seraient pas décelés par d’autres types d’acteurs. La plupart des programmes d’accélération incluant le déploiement d’assistance technique affichent des résultats nets : c’est le cas par exemple du Boost Digital de GreenTec Capital, qui propose de l’assistance technique en stratégie commerciale & digitale, et permet une augmentation significative du chiffre d’affaires des startups bénéficiaires.
Quelques écueils à éviter
De nombreux chantiers attendent encore les financeurs de programmes pour intensifier l’impact de leurs dispositifs. Il faudra inévitablement sortir du discours tout-startup pour soutenir aussi les TPMEs « brick and mortar », et repenser l’ancrage de l’accompagnement dans le temps en prenant en compte les phases de montée en compétences incompressibles, coûteuses mais nécessaires pour répondre à des indicateurs de résultats exigeants. Admettre aussi que des taux d’échecs élevés au départ sont normaux, tant les risques initiaux sont importants alors que l’entreprise doit justement déployer son offre, faire ses preuves et trouver son marché. Si l’entreprise survit, grâce entre autres à l’accélération, alors les risques, les besoins de liquidité, de compétence (…) décroissent simultanément.
Il faut également fuir le modèle de concours et de challenges éphémères, sauf à être clair sur leurs finalités (de test de la marque, de visibilité etc.), et favoriser dans les processus de sélection des entreprises hors des circuits connus de « serial pitcheurs », un travail de recherche de « pépites » difficile et convoquant patience et relais locaux. La mise en œuvre de programmes pensés depuis le continent, impliquant des parties prenantes publiques et privées africaines, privilégiant la prise de risque financière locale (les business angels, les entrepreneurs africains notamment alumni des programmes d’accélération souhaitant investir par exemple), deviendra incontournable.
En conclusion, on peut espérer que l’engouement des DFI, bailleurs internationaux, acteurs privés africains pour l’accélération se poursuive et concrétise des aspirations ambitieuses : solidifier les jeunes entreprises puis créer les passerelles intermédiaires avant des investissements en capitaux pour celles qui ont des projets de développement manifestes. Une dynamique indissociable d’une réflexion plus large sur les programmes qui existent plus en amont de l’accélération (programmes d’idéation ou d’incubation). Un effort collectif doit être mené pour continuer d’interroger la qualité de nos outils, les perfectionner au plus près des problématiques des entreprises africaines en croissance.
Notes :
(1) Un aperçu des structures dites accélérateurs est disponible sur les sites Afrikan Heroes et CrunchBase https://afrikanheroes.com/2021/05/29/a-list-of-startup-accelerators-in-africa/ https://www.crunchbase.com/hub/africa-accelerators ainsi que dans les rapports de Briter Bridges 2020 & 2021
(2) Cf étude AFD-Roland Berger « Innovation en Afrique et dans les pays émergents » https://www.afd.fr/sites/afd/files/2018-05-05-57-55/etude-innovation-numerique-afrique-pays-emergents.pdf
(3) Sur ce sujet, voir les études et expériences actuellement menées au Cameroun, au Congo-Brazzaville et au Tchad par des acteurs comme R.M.D.A ou l’Agro-PME Fondation pour mettre en place l’emploi du chèque services, un outil utile pour la formation et l’accréditation des consultants etc. https://www.rmda-group.com/project/tchad-appui-a-la-maitrise-douvrage-du-projet-dappui-a-la-petite-entreprise-phase-2 https://www.adiac-congo.com/content/pme-le-guichet-cheque-services-bientot-operationnel-32125
(4) L’avance remboursable et ses effets feront l’objet d’un article dans ce dossier Accélération.